Biocarburants aviation : quel modèle économique?

Tribune d’Olivier Rolland, Directeur exécutif de TWB

Responsable de 2% des émissions de CO2 rejetés dans le monde, l’industrie aérienne doit faire face à un défi environnemental et sociétal colossal, qui plus est, avec des perspectives de croissance exponentielle du trafic aérien (doublement de la flotte d’ici 2037 soit 50 000 avions).  Les biocarburants offrent une solution technique et environnementale à ce défi, l’enjeu consiste désormais à trouver le bon modèle économique.

Un modèle économique difficile à trouver

L’industrie aéronautique est l’une des premières à avoir pris conscience de son impact sur l’environnement et des enjeux liés au développement de ses activités mondiales. Lors de la 39e Assemblée générale de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), elle a conclu le 6 octobre 2016 un accord historique portant sur la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Les engagements pris étaient les suivants : réduire les émissions par passager jusqu’en 2020, atteindre un objectif carbone-neutralité à partir de 2020, puis réduire de moitié (par rapport à la situation en 2005) les émissions nettes du secteur d’ici 2050. L’enjeu est de taille car le trafic aura quadruplé à échéance 2050. Afin d’atteindre les objectifs fixés, des mesures concrètes ont été mises en place telle que la réduction de la consommation de kérosène (avions de dernières générations avec les dernières innovations technologiques, réduction du temps d’allumage moteur). A noter que la  facture kérosène pour les compagnies aériennes est énorme puisqu’elle représente en moyenne 30% des coûts de fonctionnement.

Autre mesure envisagée, l’utilisation de biocarburants. Plusieurs voies de production ont été explorées, elles diffèrent de par leur filière d’approvisionnement. La première est la filière oléagineuse à base notamment d’huiles végétales et d’huiles recyclées. La deuxième voie utilise des déchets et des coproduits industriels solides tels que les déchets urbains ou les résidus agricoles. Enfin, la dernière voie correspond à la filière sucrière, elle est basée sur la fermentation de sucre issu de canne, de maïs ou de betterave par exemple.

En termes technologiques, la voie oléagineuse est aujourd’hui la plus mature et la mieux maîtrisée, elle reste toutefois plus chère que la voie fossile. L’autre voie, la gazéification, a encore un coût trop élevé lié notamment aux investissements nécessaires en  équipement et à l’énergie consommée. La troisième voie n’est pas encore à maturité industrielle mais elle a un fort potentiel de par l’utilisation de matières premières biosourcées non alimentaires, voire d’effluents industriels. ArcelorMittal construit d’ailleurs une unité de conversion des effluents gazeux de son aciérie de Gand en éthanol, via la technologie de fermentation développée par la biotech Lanzatech, éthanol qui pourrait ensuite être transformé en biocarburant aviation. Les efforts en R&D investis depuis plusieurs années par l’industrie aéronautique ont permis de diminuer les coûts mais pas de manière suffisante compte tenu du prix bas du baril de pétrole, même si celui-ci connaît une hausse de son prix ces derniers temps (le seuil de compétitivité se situe aux alentours de 100$ le baril).

Et pourtant, une solution pourrait permettre d’arriver à une équation économique viable du biocarburant aviation face au kérosène fossile : l’économie circulaire locale. En effet, il n’y aura pas de solution globale mondialisée mais une multitude de solutions locales incluant toutes les problématiques du territoire concerné. Par exemple, les Emirats-Arabes Unis ont développé un projet reposant sur  les ressources locales et répondant au principal enjeu stratégique de la région, l’indépendance alimentaire : l’utilisation d’eau de mer pour faire de la pisciculture. L’eau de cette exploitation riche en nutriments assure la production de biomasse dans le désert conduisant ensuite à de l’huile pour biocarburant. Ce projet local permet ainsi d’adresser de façon rentable l’enjeu lié à l’indépendance alimentaire tout en subventionnant la production du carburant aviation.

La production de biocarburant peut-elle être un levier de développement économique ?

Vu la difficulté de rendre le biokérosène rentable face au kérosène issu du pétrole, nous n’avons pas à ce jour de production régulière à grande échelle de biocarburant aviation. Alors même que plusieurs initiatives de vols avec du biocarburant ont été fructueuses telles que des vols Air France Toulouse-Paris (programme Lab’line) ou encore des vols de livraison A350 effectués par la compagnie Cathay Pacific.

La seule usine de production de biokérosène est recensée aux Etats-Unis. Notons tout de même que des compagnies pétrolières européennes comme ENI, Neste et Total s’activent dans le domaine. Total par exemple a prévu la transformation de sa raffinerie du Sud de la France (la Mède) en bioraffinerie pour la production entre autres de biokérosène. Devenir un des pionniers de la production du biocarburant aviation pourrait avoir un impact économique fort sur notre territoire et en Europe. De même, SkyNRG, producteur de biocarburants, vient d’annoncer son intention d’implanter la première usine de production dédiée de biocarburants pour l’aviation en Europe, aux Pays-Bas. Le contrat d’approvisionnement sur 10 ans avec KLM portant sur 75000 t/an de biokérosène est sans nul doute une des sources de ce succès !

Outre la volonté de tous les acteurs du secteur aéronautique, il faut rappeler l’importance de l’arbitrage politique et règlementaire des Etats dans la transition du kérosène fossile à un kérosène durable. La semaine dernière, la France a appelé à « une taxation du transport aérien à l’échelle européenne ». Cette solution reste trop pénalisante pour nos compagnies européennes par rapport aux compagnies étrangères. Or, une autre mesure plus incitative pourrait être plus efficace et positive pour l’ensemble de la filière : la mise en place d’un crédit impôt favorisant l’utilisation de biocarburant aviation, sur le même principe que celui du crédit impôt recherche mis en place il y a quelques années et dont les bénéfices s’observent aujourd’hui.

Le biocarburant aviation reste encore trop peu produit et utilisé pour des raisons économiques. Or, ce point pourrait être résolu à condition de trouver des solutions sur-mesure qui tiennent compte des enjeux stratégiques de chaque territoire au travers d’initiatives locales globalisées où la production de biocarburant serait un bout de la chaine de valeur. Il est encore temps de rattraper ce retard, à condition que l’Europe mène une politique d’incitation et de développement de la filière biotech, capable d’accélérer les procédés pour obtenir un processus de transformation du biokérosène à un coût raisonnable face au kérosène fossile.

Tribune parue le 02/07/2019 dans les Echos et le 07/07/2019 dans l’Usine Nouvelle